03Jul

Lorsqu’une Constitution devient l’outil d’un seul homme, la République devient une fiction.

Introduction : le cri qui a brisé le silence

Le Togo, petit pays d’Afrique de l’Ouest comptant un peu plus de huit millions d’habitants, est devenu ces dernières semaines l’un des théâtres les plus inquiétants de l’expression populaire sur le continent. Citoyens révoltés, rues envahies, coups de feu, gaz lacrymogène, morts. Mais il ne s’agit pas d’une réaction soudaine. Ce que vit aujourd’hui le peuple togolais est le fruit de décennies d’autoritarisme héréditaire, de manipulations constitutionnelles et de silence imposé. Le régime de la famille Gnassingbé, au pouvoir depuis plus d’un demi-siècle, est allé trop loin. Et le peuple semble avoir décidé de ne plus se taire.

Cette analyse plonge dans les racines profondes de la crise actuelle, en expliquant les mécanismes de pérennisation du pouvoir, la manipulation juridique opérée en 2025, le contexte historique de la dynastie Gnassingbé, les raisons de la colère populaire et les scénarios possibles pour l’avenir du Togo.

1. L’ingénierie constitutionnelle qui a réveillé le volcan populaire

Lorsque les élites politiques légifèrent non plus pour le peuple mais pour elles-mêmes, la République s’effondre. C’est exactement ce qui s’est produit au Togo, entre 2024 et 2025, avec la réforme constitutionnelle menée par le parti au pouvoir, l’UNIR (Union pour la République), contrôlé par les proches du président Faure Gnassingbé.

La nouvelle Constitution, adoptée sans référendum et malgré les protestations de la société civile et de l’opposition, a remplacé le modèle présidentiel par un système parlementaire hybride. En apparence, le pays abandonnait l’élection directe du président. En réalité, il s’agissait d’une manœuvre subtile pour garantir à Faure Gnassingbé un pouvoir illimité sans passer par les urnes.

La nouvelle fonction : Président du Conseil des ministres

D’après la nouvelle Constitution, la fonction la plus puissante du pays devient celle de Président du Conseil des ministres, poste :

élu uniquement par le Parlement ;

sans limitation de mandat ;

renouvelable indéfiniment avec majorité parlementaire.

C’est ce poste que Faure Gnassingbé a assumé en 2025, laissant la présidence symbolique à Jean-Lucien Savi de Tové, 86 ans, personnalité sans pouvoir réel. Une stratégie vue comme un « coup d’État constitutionnel », un détournement des institutions, légal en apparence, mais autoritaire dans son essence.

2. Une dynastie au pouvoir depuis 1967

La crise actuelle est enracinée dans une histoire de pouvoir héréditaire jamais interrompu.

De père en fils : le règne des Gnassingbé

En 1967, Gnassingbé Eyadéma, père de Faure, s’empare du pouvoir par un coup d’État militaire.

Il gouverne d’une main de fer pendant 38 ans jusqu’à sa mort en 2005.

À son décès, l’armée impose son fils Faure Gnassingbé à la tête de l’État, avant même une élection.

Après une pression internationale, des élections sont organisées et Faure remporte les scrutins de 2005 à 2020, entachés de fraudes et de répression.

Ce régime familial fonctionne comme une monarchie électorale, masquée par une façade républicaine. Les institutions sont capturées, la séparation des pouvoirs inexistante, et la succession est planifiée en interne.

3. Les raisons de la révolte populaire

Les manifestations qui ont embrasé Lomé et d’autres villes ne sont pas nées par hasard. Elles sont le fruit d’un ras-le-bol généralisé, d’une société fatiguée d’être humiliée.

3.1 Crise de légitimité démocratique

Les élections togolaises manquent de transparence ;

L’opposition est souvent exclue ou réduite au silence ;

La nouvelle Constitution retire au peuple le droit de choisir son président – un acquis démocratique essentiel.

Le Parlement, chargé désormais d’élire l’homme fort du pays, est entièrement contrôlé par le parti présidentiel, supprimant toute alternance crédible.

3.2 Crise économique et sociale

Chômage de masse, pauvreté structurelle, inflation constante ;

Accès inégal aux soins, à l’éducation, à l’eau et à l’électricité ;

Accusations répétées de corruption, de détournement de fonds publics et de favoritisme, notamment dans le secteur du phosphate.

3.3 Répression et contrôle de l’information

Manifestants tués, y compris des adolescents ;

Internet coupé dans plusieurs régions ;

Médias suspendus (RFI, France 24), journalistes menacés, opposants arrêtés.

Le pouvoir cherche à imposer le silence. Mais le peuple ne veut plus se taire.

4. Une résistance qui s’organise : jeunesse, société civile et diaspora

Une nouvelle génération de Togolais, instruits, connectés, désabusés, s’organise au-delà des partis politiques.

4.1 Les mouvements citoyens

Des mouvements comme Togo Debout, Front Citoyen Togo, ou encore des groupes diasporiques mobilisent, alertent, dénoncent :

Manifestations dans les rues malgré la peur ;

Campagnes sur les réseaux sociaux avec les slogans : « Touche pas à ma Constitution », « Libérez le Togo » ;

Actions de la diaspora à Paris, Bruxelles, Abidjan, Montréal.

4.2 Le poids de la jeunesse

Plus de 60 % de la population togolaise a moins de 30 ans. Sans emploi, sans avenir, sans voix. Cette jeunesse est la première cible du régime, mais aussi sa principale menace. C’est elle qui descend aujourd’hui dans la rue.

5. Le silence complice de la communauté internationale

Face à cette dérive autoritaire, le mutisme des instances régionales et internationales est assourdissant.

5.1 La CEDEAO, indulgente avec les pouvoirs civils

Alors qu’elle a agi rapidement au Mali, au Burkina Faso et au Niger après des coups d’État militaires, la CEDEAO ne dit rien face à un coup d’État juridique au Togo. Pourquoi ?
Parce que Faure Gnassingbé est un allié stratégique, perçu comme un facteur de stabilité. Hypocrisie.

5.2 La France, ancienne puissance coloniale, absente

La France, historiquement liée au Togo, n’a pas condamné la réforme. Des intérêts économiques et géostratégiques pèsent plus lourd que les principes démocratiques.
Une trahison ressentie douloureusement par les Togolais.

6. Quel avenir pour le Togo ? Dialogue, rupture ou répression ?

Le pays est à la croisée des chemins.

6.1 Dialogue ou ouverture ?

Un dialogue réel avec la société civile, un retour à la légalité constitutionnelle, pourraient éviter une guerre civile lente. Mais aucun geste du pouvoir ne va dans ce sens.

6.2 Radicalisation des protestations

Plus la répression s’intensifie, plus le risque de radicalisation augmente. Le Togo pourrait glisser vers une instabilité chronique, voire des insurrections locales.

6.3 Exil des forces vives

Beaucoup d’intellectuels, d’artistes, de journalistes et de jeunes fuient le pays, ce qui appauvrit le débat interne mais renforce la pression internationale depuis la diaspora.

7. Commentaire du journaliste : Quand la Constitution est écrite avec du sang

En tant que journaliste africain, j’observe avec douleur et indignation ce qui se passe au Togo. Ce n’est pas une simple crise politique. C’est la répétition tragique d’une Afrique où la Constitution protège les puissants au lieu de protéger le peuple.

Faure Gnassingbé, en reformant la Constitution pour se maintenir au pouvoir sous un nouveau titre, trahit son peuple. Il assassine la démocratie et place le Togo dans le camp des dictatures maquillées.

La jeunesse togolaise mérite tout notre respect. Elle n’a ni armes, ni chaînes télévisées, ni palais. Mais elle a le courage. Et ce courage est peut-être la lumière qui éveillera d’autres nations africaines, piégées elles aussi dans des régimes familiaux et corrompus.

Conclusion

Le Togo dit assez. Après 57 ans sous le même nom, le peuple se lève. L’avenir est incertain, mais une chose est sûre : lorsqu’on fait taire un peuple trop longtemps, c’est la tempête qui répond.